Appel Prochain Numéro

A

AAA : Captures, gestes, interfaces. La surveillance comme performance d’écran

Dossier coordonné par Olivier AÏM (Sorbonne Université).

Calendrier de l’appel à contributions pour le numéro 13 de la revue Études Digitales :

  • Envoi des propositions sous la forme d’un résumé de 5000 signes avant le 30 avril, à etudes.digitales.soumissions@gmx.fr
  • Avis du comité éditorial sera donné pour le 15 mai,
  • Envoi des textes complets pour le 31/07/2022 pour une évaluation en double aveugle.
  • Publication en 2022.

La surveillance est une question toujours plus vive de nos sociétés contemporaines. Réflexivement, elle donne même l’impression d’être omniprésente, ne laissant plus un pan de nos vies quotidiennes intouché par ses développements, ses injonctions, ses questionnements mais aussi ses « envoûtements », le plus souvent médiatiques. Le fait est que la surdétermination empirique des enjeux de surveillance est intimement liée à la « conversion numérique » (Doueihi, 2011) de nos manières de faire, d’échanger, de voir et de penser le monde.

Historiquement, le champ des surveillance studies répond à une obsession empirique pour l’administration verticale d’une série de mesures de contrôle qui rejouent, sous une apparence plus technologique, les grands modèles panoptiques et orwelliens de la « société de surveillance » généralisée ou de la « société de sécurité maximale » (Marx, 1988). Si cette approche « sécuritaire » inaugurale reste importante dans le champ – ayant été renforcée par les scandales récents de la surveillance numérique (NSA, Cambridge, Palantir, Clearview, Pegasus) et par l’évolution des techniques (Big Data, drones, safe city, reconnaissance faciale, algorithmes prédictifs, etc.) -, elle s’est progressivement vue complétée par d’autres enjeux nettement plus culturels, liés à l’importance de la vie quotidienne, de la sociabilité et de l’économie numérique, s’apparentant à des formules apparemment plus « soft » de contrôle (Marx, 2018).

Ce mouvement régulier d’extension du champ des recherches a conduit le déterminisme des premiers temps à s’assouplir et à s’ouvrir à ce que David Lyon et Gary Marx appellent depuis quelques temps la « culture de la surveillance » (Lyon, 2018).

Il faut désormais analyser l’ensemble des processus que nous nommons surveillanciels qui s’instituent dans le fonctionnement politique, social et économique de l’existence en ligne : la dataveillance (Clarke, 1988), l’agencement surveillanciel (Ericsson et Haggerty, 2000), la « gouvernementalité algorithmique » (Rouvroy et Berns, 2013), le capitalisme de surveillance (Zuboff, 2019), etc. Ces processus s’insinuent en effet dans les interstices des usages, des pratiques, des dispositifs et des écrans, à commencer par les formules « horizontales » de la « surveillance latérale » (Andrejevic, 2008), de la « surveillance sociale » (Marwick, 2012), de même que les logiques de plus en plus complexes de la « contre-surveillance » et de la « contre-visualité » (Mirzoeff, 2011) : sousveillance et watching (Mann, 2002 ; Alloing, 2016), « vigilance » (Foessel, 2016), « obfuscation » (Nissenbaum et Brunton, 2019), etc.

Le rôle des plateformes, des réseaux sociaux et plus largement des outils numériques est essentiel dans cette logique de « digitalization » et de « softization » de la surveillance. La question des gestes, des performances, des regards et des effets (au sens d’Alexander Galloway, 2007) trouve ainsi une force heuristique très grande pour les études digitales. L’intérêt d’une approche digitale tient dans la reconsidération des enjeux liés à la manière dont les relations, les échanges et plus largement les manières de faire et de vivre se remédient parmi l’ensemble des dispositifs et des pratiques numériques.

Le déterminisme instrumental de la première théorie de la surveillance est ainsi contraint de se relâcher en faveur d’une conception et d’une appréhension davantage « médiatiques » de la surveillance telle qu’elle se vit. Ce nouveau paradigme « surveillanciel » implique d’analyser toute une « pragmatique de la visibilité » (Aïm, 2020) qui est tour à tour subie, négociée et/ou agie.  Articulée à la double notion d’agency et d’empowerment, une nouvelle praxis pourrait être, dans ces conditions, envisagée à travers la triple question des captures, des gestes et des interfaces.

En effet, ce qui se généralise, se complexifie et se diffuse avec la « culture de la surveillance », c’est la prédominance des interfaces comme supports de la capture du réel à travers ce que nous appelons les les gestes d’écran  : gestes que nous faisons quotidiennement sur les écrans et qui constituent, dans leur traduction numérique, une matière pour la surveillance.

Le développement d’une pragmatique des gestes d’écran, qui s’enracine dans les « actes d’images » (Bredekamp, 2015) ou les « actes d’écran », se situe à la conjonction entre des approches classiques sur les interactions sociales (à commencer par celles héritées de Goffman) et des travaux beaucoup actuels sur la « vie privée » et ses nouvelles performances « en contexte » (Solove, 2004 ; Nissenbaum, 2010), sur la « transparence » et ses injonctions au « partage » (Birchall, 2017) et sur l’ »obscurité » et le designde ses interfaces (Hartzog, 2018).

Les pistes de recherche que ce numéro vise à explorer sont donc à la fois historiques et actuelles, théoriques et empiriques. Cette exploration vise à mettre au jour les logiques de surveillance prises dans l’hétérogénéité de leurs agencements et de leurs pratiques. Les propositions visent à mieux comprendre la genèse et l’état des lieux de la pragmatique de la visibilité telle qu’elle s’actualise dans le répertoire de plus en plus large des performances d’écran. Les articles proposés peuvent également combiner une perspective descriptive de type ethnologique avec des analyses plus textuelles là aussi au sens le plus étendu : des discours, des entretiens, des commentaires jusqu’aux représentations des actes d’écran.

Pour préciser encore les choses, l’objectif principal de ce numéro consistera ainsi :

  1. À mieux saisir ce qui se joue à travers les logiques de capture ainsi qu’à travers l’ensemble des pratiques qui en procèdent : l’enregistrement, l’archivage, la diffusion mais aussi le partage, l’alerte, le signalement. Pourront ainsi être abordés toutes les situations et tous les outils qui portent et favorisent ces performances de la capture. Prolongeant la pratique photographique ancienne, le cas de la capture d’écran trouvera une place de premier plan dans cette panoplie des performances de surveillance.
  2. Dans le prolongement de cette première approche, les articles seront particulièrement appréciés qui se focaliseront sur la pluralité des gestes d’écran et leur inscription dans les nouvelles formes de surveillance. Les études proposées pourront porter sur des pratiques observables, tout autant que sur leurs représentations, dans une perspective comparative ou spécifique à l’un de ces gestes (Di Crosta, 2018 ; Beugnet, 2018). De même, cet ensemble d’études pourra viser une dimension plus historique et théorique, notamment pour renouer avec des théories plus anciennes sur les gestes médiatiques, à commencer par celles de Flusser, de Simondon, ou même de Goody.
  3. Cette problématique des gestes d’écran qui s’enracine de toute évidence dans l’histoire des interfaces nous impose de revenir, de manière « archéologique », sur leur évolution en tant que supports d’affichage, de lecture, de traitement, de suivi, d’écriture et d’inscription des données. Il s’agira ainsi d’explorer la pluralité des modes d’existence des interfaces en tant que technologies de l’intellect et en tant que vecteurs privilégiés des surveillances digitales au sens où celles-ci portent sur une autre pluralité, celle des modes de l’existence connectée.